mardi 27 novembre 2012

Terminé de lire dans le train…


…en rentrant de Londres tout à l'heure : Art and Sex in Greenwich Village de Felice Picano. Le sous-titre, "Gay Literary Life after Stonewall", semble de prime abord trompeur. Il n'est pas question de toute la vie littéraire gay après Stonewall mais de la petite maison d'édition gay créé par Picano, SeaHorse Press, et d'une autre maison d'édition gay un peu plus grande créée par Picano avec les fondateurs de deux autres petites maisons d'éditions gay, JH Press et Calamus Books. Il s'agissait des Gay Presses of New York. La lecture de ce bouquin (acheté chez PS Brighton, une librairie de solde neuve tout à fait recommandable) s'avère absolument passionnante pour le passionné de culture gay et d'histoire de l'édition que je suis. Et Picano, en parlant de sa propre expérience d'éditeur à la fin des années 1970 et durant les années 1980, arrive quand même à brosser un portrait de la vie littéraire gay new yorkaise de l'époque. J'ai même trouvé dans son ouvrage la réponse à une question qui me turlupinait depuis un quart de siècle : pourquoi la première édition en livre du comic strip Wendel d'Howard Cruse, parue en 1985, s'était épuisée si vite et surtout n'avait jamais été rééditée, sujet de grande frustration pour moi puisque je n'avais jamais pu mettre la main dessus. Je reviendrai là-dessus un de ces jours. En attendant, si le sujet vous intéresse, Art and Sex in Greenwich Village est paru en 2007 chez Carroll & Graf Publishers et ne devrait donc pas être trop difficile à trouver sur Amazon ou AbeBooks.

jeudi 22 novembre 2012

Quand Donald Duck n'avait pas de neveux

En ce moment, je travaille sur une exposition qui aura lieu au prochain Festival International de la BD d'Angoulême. Le titre en est Mickey et Donald : tout un art et présentera quelques-uns des auteurs de BD qui ont travaillé sur ces grands personnages classiques de Walt Disney. Bien sûr, il y sera question de ceux que connaissent tous les amateurs de BD Disney : Floyd Gottfredson, Carl Barks, Romano Scarpa, Don Rosa, etc. Mais à l'occasion des recherches que je fais pour la préparation de cette expo, je découvre ou redécouvre des éléments vraiment très peu connus de l'histoire de la BD Disney. 
Par exemple, qui a été le premier auteur de BD à envoyer Donald Duck dans de vraies aventures de longue haleine ? Si vous avez répondu Carl Barks, vous avez tout faux. Même si Barks envoie Donald et ses neveux à l'aventure dès 1942 (dans sa première BD, Donald Duck Finds Pirate Gold), il a été précédé de presque cinq ans par un Italien du nom de Federicho Pedrocchi. Ce dernier est l'auteur, scénario et dessin, de Paperino e il mistero di Marte ("Donald et le mystère de Mars") paru dans l'hebdomadaire Paperino e altre avventure à partir du numéro 1 (30 décembre 1937). Cette histoire de dix-huit pages où Donald fait cavalier seul sera suivi par une autre, Paperino inviato speciale ("Donald envoyé spécial") où il devient journaliste et fait équipe avec Peter le cochon, son ancien compagnon de débauche du dessin animé La Petite Poule avisée, dans lequel il avait fait ses débuts en 1934.
Et Pedrocchi n'était pas le seul Européen à faire vivre des aventures à Donald. Un certain William A. Ward, dessinateur et producteur de dessins animés, réalise Amongst the Hillbillies with Donald and Mac dans l'hebdomadaire britannique Mickey Mouse Weekly à partir du numéro 104, du 29 janvier 1938 (donc moins d'un mois après le lancement des aventures italiennes de Donald). Le Mac dont il est question est un vieux marin à moustache et truffe de chien, création originale de Ward qu'il réutilisera dans d'autres créations comme Donald Duck with Mac in Quest for the Giant Weed et Donald Duck with Mac in A Trip to the Moon.
Pedrocchi et Ward ont eu à affronter le même problème : donner à Donald un compagnon d'aventures (ça évite que le héros se parle à lui-même tout le temps). Ils ne pouvaient pas, comme Barks, utiliser Riri, Fifi et Loulou, qui ne font leurs débuts en BD qu'à la fin 1937 et en dessin animé début 1938. Pedrocchi se rabat sur Peter le cochon, comparse déjà bien oublié après son unique apparition de 1934. Par la suite, il utilisera Dingo comme faire-valoir de Donald. Ward, à l'inverse, crée de toutes pièces Mac, un vieux loup de mer, ce qui est somme toute assez logique puisque Donald porte lui-même en permanence un costume de marin.
Il est intéressant de constater que ces essais n'ont guère eu de postérité. C'est bel et bien la version de Barks (Donald associé à ses trois neveux) qui s'est imposée, peut-être parce qu'elle convenait mieux au caractère du personnage, peut-être à cause de l'énorme influence exercée par l'Homme des Canards sur la BD Disney d'après-guerre. En tout cas, force est de constater que dans les quelques histoires où Donald est associé au perroquet José Carioca et au coq Panchito, il se retrouve à jouer les clowns blancs face à deux personnages encore plus farfelus que lui. C'est également vrai dans les quelques histoires du trio parues vers 1945 et dans la superbe histoire de Don Rosa Le Retour des 3 Caballeros que j'avais eu le plaisir de traduire, il y a… hou là là, si longtemps que ça ?

mercredi 21 novembre 2012

La Coiffe qui décoiffe


Sans être aussi stakhanoviste que mon camarade Alex Nikolavitch, je traduis beaucoup, beaucoup de choses. Mais j'en ai rarement autant sué que sur la version française de The Birth Caul, à paraître aux éditions çà et là, que je viens de terminer. 
Au départ, The Birth Caul (littéralement : "La Coiffe de naissance") est le texte d'une performance donnée par Alan Moore le 18 novembre 1995 au Vieux Tribunal de Comté de Newcastle-upon-Tyne. Cette performance restera unique, comme toutes celles d'Alan Moore, qui ne les considère pas à proprement parler comme des spectacles mais plutôt comme des cérémonies magiques. Quelques années plus tard, Eddie Campbell, collaborateur de Moore sur From Hell, propose au barbu de Northampton de réaliser une adaptation graphique du texte. Il l'édite en 1999 dans le cadre de sa maison d'édition eddie campbell comics. Cette version a été reprise en 2010 chez l'éditeur anglais Knockabout avec une autre adaptation de Cambell d'un texte de Moore, Snakes and Ladders, dans un volume intitulé A Disease of Language.
Mais, me direz-vous, qu'est-ce qu'il y avait donc de si compliqué à traduire dans ce petit bouquin de quarante-huit pages ? Rien. Et tout. Alan Moore n'y utilise pas de mots compliqués ni de tournures de phrases tarabiscotées, son texte étant conçu pour être lu à voix haute devant un public censé l'appréhender immédiatement, puisqu'il n'avait pas la possibilité de revenir en arrière. Mais Moore use d'une langue très riche, précise, garnissant ses substantifs de nombreux épithètes, dont la sonorité compte presque autant que le sens. Bref, une langue poétique, dont n'importe quel traducteur vous dira que c'est la plus difficile à traduire, justement à cause de cet entremêlement du sens et du son qui en fait la spécificité. Autant dire que les quelque cinq cents pages de From Hell n'étaient qu'amusette comparées à ces quarante-huit pages là.