mardi 29 avril 2014

Il faut sauver le soldat Pif le chien

C'est un article d'Henri Filippini sur le site BDZoom, dans la rubrique Patrimoine. Un article consacré à la série Pif le chien. Henri Filippini voudrait y voir une "tragédie éditoriale". D'ailleurs, c'est comme cela qu'il intitule son article : "Pif le chien : histoire d'une tragédie éditoriale". 
L'auteur s'y montre très critique vis-à-vis de la décision prise à la fin des années 1960 de moderniser l'univers de Pif. Tout à sa volonté de démontrer qu'il s'agissait d'une "erreur funeste", il oublie de noter que le Pif "moderne" dure de 1969 à 1994 (c'est-à-dire du lancement de la transformation de Vaillant en Pif-Gadget jusqu'à l'arrêt du journal), soit la bagatelle de 25 ans. Il ne remarque pas non plus que Pif, qui a fait ses débuts dans le quotidien l'Humanité, arrivant dans les pages de Vaillant en 1952, la période du journal mettant en vedette le Pif "classique" ne dure que 17 ans. Et si la décision de moderniser l'univers de Pif n'avait pas été une "erreur funeste" mais au contraire ce qui a permis à la bande de durer aussi longtemps ? 
Henri Filippini remarque fort justement que "(l)a presse BD communiste française a toujours curieusement lorgné vers les Etats-Unis en matière de bande dessinée." (Passons sur le "curieusement" : en quoi serait-ce curieux, pour un éditeur commercial, de chercher à s'inspirer d'une BD qui a du succès ?) Il regrette que Pif "héros bien de chez nous, campé par un artisan de la bande dessinée, (perde) peu à peu son identité tout au long de cette débauche d'auteurs qui ont pour consigne d'en faire un nouveau "Mickey Mouse"" Mais cette identité qu'il regrette, c'est celle d'un personnage de comédie familiale, donc pas une identité à proprement parler mais un rôle, puisqu'avant d'être adopté par la famille de Tonton, Tata et Doudou, Pif était un chien errant. 
En 1969, Pif troque son ancien rôle contre un nouveau, et s'il fallait le comparer à un personnage américain à succès, ce serait plutôt à Donald Duck qu'à Mickey Mouse. L'univers de Pif qui s'élabore à partir de 1969, avec ses savants géniaux et farfelus, sa localisation urbaine plutôt que campagnarde, l'accent mis sur l'aventure plutôt que sur la comédie, évoque naturellement l'œuvre de Carl Barks. Et d'ailleurs, une bonne partie des auteurs qui animèrent le Pif "moderne" travaillent en parallèle pour Le Journal de Mickey. Par contre, là où la comparaison Pif/Mickey s'avère juste, c'est dans le caractère trop positif des deux personnages. Ils sont trop gentils. Donald, avec ses défauts, offre davantage de possibilités à un scénariste. De plus, Donald est clairement positionné comme un adulte, qui doit travailler pour gagner sa vie (et nourrir sa famille). Pif et Mickey correspondent en revanche au type de héros aventurier vivant dans une éternelle adolescence à l'abri des contraintes économiques.
Il y aurait beaucoup à redire dans cet article sur la manière dont Henri Fillipini mélange allègrement l'histoire éditoriale du journal Vaillant/Pif Gadget et l'histoire de la série Pif le chien. La "tragédie éditoriale" est-elle celle de la série où l'arrêt d'un journal qui avait été l'une des plus belles ventes de la presse BD française ? Ou bien, plus probablement, n'y a-t-il pas eu de tragédie du tout, mais l'évolution - somme toute assez normale - d'une série destinée à la jeunesse. Contrairement à ce que semble penser Henri Filippini, les goûts des jeunes lecteurs ne sont pas immuables, tout simplement parce que chaque génération grandit dans un environnement culturel différent. Il serait d'ailleurs intéressant de se demander pourquoi certains personnages de BD parviennent à traverser les générations et d'autres pas, mais aussi jusqu'à quel point certains héros peuvent changer avec le temps. Les succès durables d'un Donald Duck ou d'un Superman laissent à penser que ce qui est important, c'est que le héros reste fondamentalement lui-même, tout en étant suffisamment malléable pour s'accommoder de modifications de surface. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bien bel article, ça fait plaisir après le monceau d'approximations (pour être gentil) accumulé dans les commentaires du papier auquel tu fais référence.