lundi 20 juin 2011

Auto-édition : le point aveugle de la BD

La prochaine université d'été de la bande dessinée à Angoulême est tout entière consacrée à l'auteur. En consultant le programme mis en ligne sur le site de la Cité de la BD, organisatrice de ces journées, mon intérêt est éveillé par le mot "auto-édition". Je cite l'intitulé de la table ronde du vendredi 8 juillet à 9h 15 :
9h15 table ronde édition alternative, micro-édition, autoédition, quelles perspectives ?
Le succès de l’édition alternative au tournant des années 1990 a démontré la viabilité d’une démarche s’aventurant hors des sentiers battus et a contribué à modifier sensiblement le paysage éditorial. Qu’en est-il aujourd’hui ?
avec
Pierre Jeanneau Editions polystyrène | Loïc Néhou, ego comme x | Soline Scutella, Scutella éditions | Pierre-Laurent Daurès École européenne supérieure de l’image
Toute de suite, je flaire le problème : qui, parmi les intervenants, va parler d'auto-édition ? Ego comme X , les Editions polystyrène et Scutella éditions sont de petites structures éditoriales destinées à publier le travail de plusieurs auteurs. Rien à voir avec un auto-éditeur qui, par définition, ne publie que son propre travail.
Une fois de plus, je constate l'incapacité des Français à ne serait-ce qu'envisager ce que peut être l'auto-édition. Outre-Atlantique, la donne est bien différente. Il y est très courant que les jeunes auteurs s'y auto-éditent et il ne manque pas d'exemples de créateurs dont l'essentiel des œuvres (ou les œuvres essentielles) a été auto-éditée : Dave Sim, bien sûr, créateur de Cerebus, mais aussi John Porcellino, qui publie depuis plus de vingt ans King-Cat Comics & Stories. Mais on pourrait aussi citer Kevin Eastman et Peter Laird, créateurs et éditeurs des Tortues Ninja et Eddie Campbell, dont le label d'édition, aujourd'hui défunt, publia la première compilation en livre du roman graphique From Hell. En France, on aurait du mal à trouver de tels exemples. Les auto-éditeurs les plus connus (Jean Graton, Tabary, Claire Brétécher jusque récemment) ont acquis leurs notoriété d'auteurs en étant publiés, parfois longtemps, par de "vrais" éditeurs. Même la génération des "indépendants" des années 1990 voit l'émergence de petites structures généralement associatives, pas d'auteurs isolés prenant leur destin en main. En France, une telle démarche est suspecte. On se demande si le fait que la personne s'auto-édite ne signifie pas tout simplement qu'elle est incapable de trouver un éditeur et ce, non pas parce que sa démarche créative serait trop originale, mais par manque de talent. Talent dont, c'est bien connu, seul un éditeur est à même de juger.
Pour en revenir à la table ronde de l'université d'été, on aurait pu imaginer la présence d'un auteur publiant ses BD en ligne sur le net et se chargeant lui-même de l'édition "papier". Là encore, les exemples ne manquent pas aux Etats-Unis et au Canada, mais par contre, chez nous, l'oiseau rare serait bien dur à dénicher.
Il faut se rendre à l'évidence : les Français sont culturellement incapables d'appréhender ne serait-ce que la notion d'auto-édition et ce n'est pas le fait d'inclure ce terme dans l'intitulé d'une table ronde qui y changera quoi que ce soit - surtout quand il est évident qu'aucun intervenant n'a la compétence requise pour en parler. D'ailleurs, la suite de la matinée est sans équivoque :

10h20 table ronde l’aide à l’édition
Aujourd’hui comme hier de nombreux projets de jeunes auteurs voient le jour par le biais de petites structures le plus souvent soutenues financièrement. Elles sont par ailleurs de plus en plus fragilisées (surproduction, contexte économique actuel) et le seront peut-être de plus en plus si les années à venir confirment une baisse de l’intervention publique.
avec le
Centre national du livre | Emmanuelle Lavoix responsable du programme de soutien à l’édition pour le Centre du Livre Poitou-Charentes | Frédéric Cros directeur du Pôle Image Magelis | Pili Muñoz directrice de la maison des auteurs - la Cité

11h30 rencontre créer sa maison d’édition BD : oui mais comment ?
Déterminer sa ligne éditoriale, construire un catalogue, trouver le financement, choisir un mode de diffusion, savoir communiquer… avec
Thierry Groensteen Actes Sud - l’An2 | Arnaud Bauer Manolosanctis | Greg Neyret Bamboo |Jean-Philippe Martin directeur de l’action culturelle - la Cité

Il ne s'agit pas d'aider l'auteur à se prendre en main mais bien de l'aiguiller, encore et toujours, vers des structures collectives, quitte à ce qu'il les crée lui-même. Mais surtout, surtout, pas tout seul !

2 commentaires:

GROSPATAPOUF a dit…

Bien vu. j'avais parcouru ce programme d'un œil distrait sans m'arrêter à cette aberration. J'imagine que la table-ronde va commencer par quelques interventions qui, comme d'habitude, en redéfiniront le titre. Je vois mal Loïc Néhou satisfait d'être rangé sous le terme "auto-édition" (si je ne 'abuse, il ne se publie plus lui même depis fort longtemps) !
Ils auraient mieux fait d'inviter Benoît Jacques, Jonathan Larabie, Jean Bourguignon... et , Michel Schetter !

Jean-Paul Jennequin a dit…

Michel Schetter, selon moi, appartiendrait plutôt à la catégorie des Graton, Tabary et Brétécher. Mais en mentionnant Loïc Néhou, tu mets le doigt sur une confusion typiquement française qui, je crois, risque de se passer à Angoulême : considérer une structure lancée et gérée par des auteurs (et où, en général, ils se publient) comme de l'auto-édition. Effectivement, la présence de Benoît Jacques ou Jean Bourguignon aurait été intéressante mais l'auto-édition qu'ils pratiquent est-elle celle qui intéresse l'université d'été ?