samedi 16 février 2013

Pierre GHEERAERT (1930-2013)


Il y a deux semaines, samedi 2 février, Pierre est mort.

Pierre était l'homme avec qui je partageais ma vie depuis 1985.

Il est mort, comme on dit "des suites d'une longue maladie". C'est un cliché, mais un cliché basé sur la réalité. Pierre souffrait de la maladie d'Alzheimer. Concrètement, cela veut dire que depuis l'époque où le diagnostic avait été posé, en 1998, il avait par étapes perdu toutes ses facultés : il avait arrêté de conduire sa voiture, de sortir tout seul, puis il avait cessé de parler, puis il avait eu du mal à se tenir debout, puis à marcher… La photo ci-dessous date de juillet 2005. C'était il y a seulement sept ans et demi, et pourtant cela semble tellement loin. Le Pierre qui a expiré il y a deux semaines passait son temps entre un lit médicalisé et un fauteuil confort. On le faisait passer de l'un à l'autre à l'aide d'un lève-personnes. Il ne pouvait plus absorber que des aliments semi-liquides (crèmes, purées…). On ne savait pas très bien s'il avait conscience de son état, s'il savait encore qui il était, où il se trouvait.

Jeudi 7 février, Pierre a été incinéré. C'était mon anniversaire, et celui de Fred, le troisième des cinq enfants que Pierre avait eu avec Hélène, son ex-épouse. J'avais toujours trouvé amusante cette coïncidence : Fred et moi avons exactement un an de différence, au jour près. Nous nous sommes dits que tant qu'à ce que notre anniversaire soit gâché, autant qu'il le soit dans les grandes largeurs.

Lors de la cérémonie, j'ai lu le texte suivant :

Pierre a vécu plus de 82 ans. C’est long, 82 ans. On a le temps de vivre plusieurs vies. Quand j’ai connu Pierre, il avait 54 ans. Des vies, il en avait déjà vécu plusieurs. Il avait été un enfant, puis un adolescent, un étudiant, un séminariste, un militaire pendant la Guerre d’Algérie. Et puis il avait été un homme marié, père de cinq enfants qui étaient, à ce moment, déjà des adultes. Et après que nous avons commencé à vivre ensemble, Pierre a continué à vivre des vies différentes : il était retraité, mais un retraité très actif, avec des activités de visiteur de prison. Il était grand-père, ce qui ne lui déplaisait pas, je crois, car il adorait ses petits-enfants. Et il était mon compagnon.

Samedi 2 février 2013, ces multiples vies se sont achevées.

Pierre m’écrivait le 10 avril 1986 :
Je n’ai pas peur de la mort car pour moi, ce n’est qu’un changement de mode de vie et de communication.

Je suppose qu’il a donc déjà commencé encore une autre vie, une autre existence, je ne sais pas très bien où. Mais je sais qu’ici, sur Terre, il vit toujours dans le souvenir de ceux et celles qui l’ont connu et aimé.

Tous ceux qui sont présents ici aujourd’hui gardent le souvenir d’un Pierre différent. Pour l’une il a été le mari, pour les autres le père ou le grand-père, pour d’autres l’ami. Pour moi, Pierre a été l’homme avec qui j’ai vécu plus de vingt-sept ans. Un homme avec ses qualités et ses défauts, mais quand on aime quelqu’un, on le prend avec ses qualités et ses défauts, et lui, il m’avait pris avec mes qualités et mes défauts.

Alors en ce jour où nous allons nous quitter, je dois dire ceci : je ne suis pas sûr, personnellement, qu’il y ait un au-delà, mais je sais que je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui sans Pierre. Donc, oui, quelque part, il vit encore en moi.