mardi 10 décembre 2013

La mort vous va presque bien

Même si je ne suis pas lecteur de la série Les Légendaires de Patrick Sobral, j'aurais du mal à ne pas être au courant que l'auteur a eu l'audace d'y faire mourir l'un des personnages principaux. Et qu'apparemment, pas mal de lecteurs ont été choqués. Mais pas, je le soupçonne, au point d'abandonner la série. Car la mort d'un personnage important n'a en soi rien de nouveau et la plupart des générations de lecteurs ont vécu au moins un tel "traumatisme". Les amateurs de comic books citeront la mort de Gwen Stacy, celle de Jean Grey ou d'Elektra. Hum, ça fait beaucoup de femmes mortes, ça. Est-ce ma faute si personne à part moi ne semble se rappeler de la mort héroïque du Swordsman dans Avengers ? Par contre, je parie que la mort d'Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux est passée moins inaperçue. 
Ce qui me paraît très sain dans ces décès de personnages imaginaires, c'est que d'une part, ils montrent aux lecteurs que le fait d'être du côté des bons ne rend pas immortel (non, ce ne sont pas seulement les "méchants" qui meurent) et que d'autre part, la mort d'un proche est une épreuve douloureuse mais à laquelle on survit. En d'autres termes, qu'il y a un avant et un après, que l'on ne vit pas dans un éternel présent où rien ne change.
J'ai failli écrire que les lecteurs de BD franco-belges étaient moins préparés au "traumatisme" de la mort d'un héros que ceux des comics, mais en réalité il n'en est rien. En effet, si l'on meurt beaucoup dans les comic books, l'on y ressuscite tout aussi souvent, ce qui a pour résultat de rendre la mort d'un personnage tout au plus un petit tracas provisoire. The Walking Dead constitue une heureuse exception, ce qui ne manque pas d'ironie dans une série peuplée de morts vivants. Mais il s'agit d'une série qui est la propriété de ses créateurs, qui ont donc plus de poids sur ce qui s'y passe que les forces commerciales qui tendent à ce qu'une série soit immuable.
Je crois qu'il existe une incompatibilité intrinsèque et malheureusement inévitable entre les exigences créatrices et commerciales. L'auteur veut que ses personnages changent parce que ce qu'ils vivent les fait changer. Le directeur commercial souhaite que les personnages restent toujours pareils afin de pouvoir être déclinés sous d'autres formes, vendus à toujours plus de millions d'exemplaires. Les héros de BD, qui peuvent "vivre" très longtemps, sont particulièrement sensibles à la contrainte commerciale. Quel impact sur un lecteur contemporain peut donc avoir la mort de Gwen Stacy, qui a eu lieu il y a quarante ans en temps réel ? Depuis, Spider-Man a eu le temps de se consoler, de se marier, puis de voir son mariage "effacé" par la magie d'un démon, et tout récemment de "mourir". Ce qui paraissait énorme, monstrueux aux lecteurs de l'époque n'est plus qu'une péripétie parmi d'autres.

samedi 16 novembre 2013

80 ans de Mickey et autres considérations

Hou là là, pas beaucoup de temps pour bloguer, ces derniers mois. Les traductions s'enchaînent les unes après les autres sans répit (pour moi). J'ai passé les derniers jours à travailler sur une exposition célébrant les 80 ans du Journal de Mickey que l'on verra au prochain Festival d'Angoulême (et qui tournera ensuite dans différents lieux). 
Bien sûr, on ne s'appesantira pas sur le fait que le Journal de Mickey est octogénaire. D'ailleurs, je constate à cette occasion que les journaux ne vieillissent pas comme les êtres humains. Un journal, ça change avec les époques, ça s'adapte (sinon, comme les dinosaures, ça disparaît). Le Journal de Mickey d'aujourd'hui est très différent de celui des années 1960 dans lequel j'ai appris à lire, qui était lui-même très différent de celui des années 1930. Se pencher sur ces huit décennies, c'est comme parler de plusieurs journaux distincts qui se trouvent avoir porté le même titre. 
Et puis, on découvre des petits faits intéressants, des informations insolites. Par exemple que deux auteurs régulièrement publiés dans le Journal de Mickey ont reçu le Grand Prix de la Ville d'Angoulême. Lesquels ? Florence Cestac et Paul Gillon. Pour la première, ce n'était pas vraiment une surprise, puisque sa série Les Déblok est parue durant les années 1990, donc assez récemment pour que ce soit encore frais dans les mémoires (enfin, dans ma mémoire à moi, qui ai le chic pour me rappeler de toutes sortes de trucs en rapport avec la BD - allez savoir pourquoi). Pour le deuxième, c'est plus inattendu. D'abord parce que l'on oublie souvent que Paul Gillon reçut le Grand Prix en 1982. Ensuite et surtout parce que ses productions pour le Journal de Mickey peuvent passer relativement inaperçues dans une bibliographie - il faut bien - le dire abondante. Il n'empêche : à une époque où il réalisait la bande quotidienne 13, rue de l'Espoir pour France-Soir, Gillon dessina aussi des BD inspirées des séries télé de l'O.R.T.F. La Déesse d'or (1961-1962) et Le Temps des Copains (1962-1964) et l'adaptation en BD d'un film live de Walt Disney, Le Fantôme de Barbe-Noire (1968). 

Peter Ustinov est un des rares acteurs que je trouve plus mignons
quadragénaire que sexagénaire. Son cabotinage insupportable y est probablement
pour quelque chose.

Tiens, en recherchant des images du film en question, je me suis rendu compte que : 1) le rôle du fantôme était bien tenu par Peter Ustinov, comme je le pensais et que 2) Dean Jones, qui joue le jeune premier un peu benêt dans ce film, était aussi à la une de L'Espion aux pattes de velours (1965), d'Un Amour de Coccinelle (1968) et de pas mal de films Disney des années 1960-1970. Sa tête me disait quelque chose. Forcément, à l'époque, on ne voyait que lui.

Peter Ustinov et Dean Jones dans Le Fantôme de Barbe-Noire.
Toute une époque !

Voilà comment on passe insensiblement des 80 ans du Journal de Mickey à un mauvais flashback sur les moments cinématographiques pas forcément les plus glorieux des décennies où j'ai grandi… 

samedi 24 août 2013

L'Avenir sera toxique ou il ne sera pas


Lu dans le supplément culturel du Guardian un amusant article d’Ewan Morrisson, "The China Supremacy", essayant d’imaginer l’état de l’édition dans trente ans. Le postulat de base – une économie mondiale désormais dominée par la Chine – n’est pas toujours convaincant.
De plus, si Morrison semble très au courant des plus récentes tendances de l’édition, y compris l’édition numérique, sa connaissance de la bande dessinée paraît de seconde main. Il imagine le succès d’une forme hybride, le « emook » qui se situe « quelque part entre une BD, un livre et un ebook amélioré ».   On ne saisit pas très bien la différence qu’il fait entre une BD (« a comic ») et un livre, comme s’il n’était pas au courant de l’existence des romans graphiques.
D’autre part, le grand succès en matière de fiction en 2043 est un superhéros nommé Toxic Man produit par « une équipe en Chine » et qui prend la forme d’une « BD/emook/série télé/jeu vidéo/série de films ». On peine un peu à déterminer en quoi consiste précisément ce joyeux gloubliboulga, mais on finit par comprendre que pour Morrison,  l’avenir de la fiction se situe dans la déclinaison multimédia de personnages qui finissent par prendre une vie propre. L’idée est séduisante et nécessite d’être creusée. Cependant, elle me paraît basée sur un malentendu. L’auteur ne connaît visiblement de la BD que ce qui filtre dans les médias par le biais de films blockbusters, de jeux vidéos, de séries télé, etc. Dans un tel contexte, on peut avoir l’impression que la bande dessinée est une usine à produire des personnages (ou plus exactement des superhéros) qui seront déclinés dans les différents médias par des tâcherons tout aussi anonymes que les créateurs des dits personnages.
On ne peut pas lui donner tout à fait tort quand on sait que les héritiers de Siegel et Shuster (créateurs de Superman) et de Jack Kirby (créateur d’à peu près les deux tiers de l’univers Marvel) peinent encore à faire reconnaître la paternité créative de leurs parents sur des figures connues de tous. Un peu comme si seuls les spécialistes savaient qu’Arthur Conan Doyle a créé Sherlock Holmes ou Alexandre Dumas les Trois Mousquetaires.
Morrison fait de son Toxic Man « le premier « nouveau » superhéros inventé depuis 1989. » La date n’est apparemment pas innocente puisqu’il s’agit de l’année de la chute du Mur de Berlin et que l’Occident ayant perdu son pire ennemi sembla désormais incapable de s’inventer de nouveaux superhéros. On ne voit pas très bien sur quoi l’auteur se base pour imaginer un tel scénario. D’une part, il ne définit pas ce qui rend un superhéros « nouveau », ni quel serait le dernier « nouveau » superhéros créé avant cette date fatidique de 1989. Quand il écrit qu’ « en 2013, nous nous sommes rendu compte que les superhéros occidentaux en étaient au stade terminal du recyclage », il renvoie à un article de Joe Queenan concernant le traitement des superhéros par Hollywood. Pas vraiment ce que j’appellerais une connaissance de première main.
Bref, le portrait que dresse Morrison du marché mondial de l’édition en 2043, malgré des intuitions intéressantes, me paraît vicié à la base par une méconnaissance visible de tout ce qui, dans l’édition, ne relève pas de la littérature dite générale. L’idée selon laquelle les superhéros – et par extension toutes les bandes dessinées – sont des produits fabriqués en équipe dans le cadre de stratégies multimédia n’apparaîtra sans doute pas comme fausse à la plupart de ses lecteurs, qui n’en savent pas plus que lui en ce domaine. Elle n’est pourtant que la résurgence moderne de cette vieille confusion que font encore beaucoup de gens entre « bandes dessinées » et « dessins animés ». Elle est aussi typique de l’attitude de ceux pour qui la seule culture est la « grande » culture et qui pensent qu’une connaissance parcellaire de la culture dite populaire (ou « de masse ») est suffisante pour s’aventurer dans des spéculations où même des experts ne se hasarderaient qu’avec moult précautions. 

dimanche 4 août 2013

"C'est toi ma maman ?" "Je t'en pose, moi, des questions ?"


Je viens de finir de relire pour la deuxième fois (et donc de lire pour la troisième fois) le deuxième roman graphique d'Alison Bechdel, Are You My Mother? Il devrait paraître chez Denoël sous le titre C'est toi ma maman ? à une date non précisée (même pas sur le catalogue en ligne de l'éditeur). La traduction prend du temps, c'est le moins que l'on puisse dire, puisque l'édition originale américaine est sortie au premier semestre 2012. Cela dit, à chaque relecture du livre, je me dis que le traducteur ou la traductrice a de toute façon bien du mérite et que je ne voudrais vraiment pas être à sa place.
Are You My Mother? a dû désarçonner plus d'un lecteur, à commencer par ceux de Fun Home qui a, je le rappelle, été un best seller. Je ne pense pas que ce deuxième memoir (comme disent les Américains) aura des ventes du même ordre. Non pas parce que c'est un mauvais livre, loin s'en faut, mais parce qu'il est d'un abord et d'une lecture beaucoup plus difficiles que son prédécesseur. Fun Home avait pour figure centrale le père d'Alison, mort quand elle n'avait que 19 ans. C'est donc une œuvre tournée entièrement vers le passé, avec un minimum de vingt années d'écart sur les faits relatés. Are You My Mother? parle des relations d'Alison Bechdel avec sa mère, encore vivante au moment de l'élaboration et de la sortie du livre (elle est décédée au mois de mai dernier). Ce qui prend essentiellement la forme d'une quête (comme celle du petit oiseau dans le livre de P.D. Eastman auquel Alison Bechdel a emprunté son titre) dans laquelle interviennent plusieurs ex de l'auteure, deux des psychanalystes avec lesquelles elle a travaillé, Donald Winnicott (célèbre psychanalyste britannique auteur de livres sur la psychologie de la petite enfance) et Virginia Woolf.
Are You My Mother? est un livre profondément non linéaire où l'on passe constamment du présent de l'auteure (en train de travailler sur son livre) à son passé récent (quand elle travaillait sur Fun Home) à son passé plus lointain. La clé de ces déplacement est la clé des songes, chaque chapitre s'ouvrant sur une séquence de rêve, interprétée ensuite via les souvenirs, le contexte, les séances d'analyse actuelles d'Alison Bechdel et les textes fondateurs de Donald Winnicott. Dire que "l'homme (dans ce cas, la femme) y passe à travers des forêts de symboles" serait en-dessous de la vérité. Pour tout dire, on a parfois l'impression de se perdre dans ce fouillis d'interprétations où tout fait sens. C'est que ce n'est pas la raison qui sert de guide mais l'analogie, non pas fil d'Ariane mais cailloux du Petit Poucet. 
Je vais être franc : je suis loin d'être convaincu à cent pour cent des vertus de la psychanalyse. Influencé par la lecture de Didier Eribon (dont je viens de finir La Société comme verdict), je me méfie de ce qui voudrait expliquer tous les problèmes d'un individu uniquement par son environnement familial, comme si la famille n'était pas elle-même incluse dans une société. Ainsi, le rôle subalterne assigné aux femmes dans la société américaine des années 1950-60, l'obligation qui leur est faite de faire passer leurs intérêts personnels loin derrière ceux de la bonne tenue d'un foyer, tout cela semble ramené à l'arrière-plan, voire interprété au prisme de la seule transmission des névroses d'une génération à l'autre. Quand Alison demande à sa mère quelle est "la chose principale qu'[elle a] appris de [sa] mère", celle-ci répond sans hésiter "Que les garçons sont plus importants que les filles." Sur quoi Alison s'indigne que sa mère avait, vis-à-vis de ses frères, la même attitude que sa grand-mère vis-à-vis de ses oncles. Comme si ce n'était pas, à l'époque, la société toute entière qui disait que "les garçons sont plus importants que les filles" et que ce traitement de faveur accordé aux garçons était le seul résultat de l'attitude transmise de mère en fille au sein de la famille Fontana (nom de jeune fille de la mère d'Alison Bechdel).
Je suis probablement injuste avec l'auteure, dont l'œuvre témoigne assez de l'importance qu'elle reconnaît au social dans la vie de l'individu (je pense évidemment à la longue série Dykes To Watch Out For). Cependant, je ne peux pas faire abstraction de l'impression de malaise ressentie à cette relecture d'Are You My Mother?, l'impression qu'Alison Bechdel enferme sa relation avec sa mère dans un système clos,  fermé par des grilles qui sont justement la grille de lecture psychanalytique dont elle semble user exclusivement pour faire sens de cette relation (et voilà que moi aussi je me mets à faire du lacanisme à quatre sous).

lundi 22 juillet 2013

La Ville dont le prince est un lapin


Il s'agit de Bâle, et j'aimerais qu'il fasse aujourd'hui le même temps qu'il faisait lorsque j'ai pris cette photo.

lundi 15 juillet 2013

Le Mystère Simon Roussin

Depuis quelques années, un auteur de BD du nom de Simon Roussin construit une œuvre personnelle, revisitation  de la bande dessinée populaire des années 1950-60 (récit d'aventures, roman historique, policier…) sous forme d'une sorte de ligne claire traitée aux feutres de couleur ou en aplats utilisant une gamme chromatique limitée (noir, blanc et gris, ou bien "fausse" trichromie). L'approche n'est pas totalement originale, puisque de Marc Smeets à Glen Baxter en passant par Pierre La Police et Blex Bolex, d'autres ont déjà emprunté ces sentiers avant lui.  Cela dit, on ne va pas reprocher à un jeune dessinateur de ne pas avoir réinventé tout l'art occidental depuis la grotte de Lascaux.
Ce qui est étonnant, ce sont les commentaires passionnés, voire passionnément négatifs, que provoquent la sortie de ses livres sur le site Actua BD. On dirait que certains lecteurs de ce site tiennent absolument à prouver que Simon Roussin ne sait pas dessiner. Pas que eux, les lecteurs, n'aiment pas son dessin mais qu'il ne sait pas dessiner, comme si on pouvait démontrer par a + b que quelque chose est de l'art ou n'en est pas. L'obstination, voire la rage qui transparaissent dans certains commentaires semblent vouloir dire : "C'est moi qui ai raison et je n'aurai de cesse que le reste du monde le reconnaisse."
On peut penser que toute cette agitation autour de son travail fait de la publicité à Simon Roussin. C'est d'ailleurs à se demander pourquoi ces critiques virulents ne se contentent pas d'ignorer l'annonce d'une nouvelle sortie de cet auteur qu'ils détestent, puisque le plus sûr moyen d'assurer la disparition rapide d'une information sur internet est de la laisser emporter dans le flot ininterrompu de l'actualité. Sans commentaires, en effet, la dite annonce s'effacerait de la page d'accueil en moins d'une semaine. Mais non ! Ils doivent absolument crier à l'imposture et dénoncer le scandale. Comme si leur indignation ne pouvait souffrir qu'on l'ignorât. C'est là pour moi le véritable mystère : ce qui pousse ces gens à réagir alors que le plus sûr moyen de nuire à un auteur qu'ils détestent serait de rester coi.

vendredi 12 juillet 2013

La Citation du jour

La citation du jour est de Stan Lee, le "créateur" de l'univers Marvel, surnommé par certains (heureusement plus depuis un bon moment) l'Homère du XXe siècle. Elle est tirée de son immortel ouvrage Son of Origins of Marvel Comics (1975) :

"Vous êtes vous déjà fait la réflexion que presque toutes les histoires du monde - pas seulement celles de superhéros dans les comic books - traitent du combat des bons contre les méchants sous une forme ou sous une autre ? C'est la formule de base non seulement pour la bande dessinée, mais pour pratiquement tous les récits d'aventures… et est-ce que toute histoire n'est pas un récit d'aventure quand on le réduit à son essence ?"

Je dois dire que l'aspect "bons contre méchants" ne m'avait pas frappé lors de la lecture de La Princesse de Clèves, mais que venant de recommencer la Recherche, je ne vais pas manquer de le relire d'un œil neuf.

samedi 29 juin 2013

L'important, c'est de participer (comme disait l'autre)

Allé cet après-midi à la Gay Pride (ou faut-il dire Marche des Fiertés LGBT ?) sous un ciel dégagé, ce qui fait que j'en ai ramené quelques coups de soleil. Je ne compte plus maintenant le nombre de ces marches où je suis allé. La première devait être dans les années 1980, sans doute. Avec Pierre, nous y allions tous les ans. Je me souviens d'une marche au début des années 1990 où le temps était gris et pluvieux. Par la suite, j'ai appris que c'était une des marches qui avait eu le plus faible nombre de participants (déclin de la militance gay, épidémie de Sida) avant le redémarrage progressif de l'événement dans les années qui ont suivi. Puis j'étais allé défiler sans Pierre, que ces grands rassemblements commençaient à fatiguer, avant de ne plus y aller du tout, pendant quelques années. Mais j'y suis retourné, depuis 2008, et il était évident que cette année, je ne pouvais pas manquer de défiler. 
J'ai souvent entendu critiquer, y compris par des homosexuels, le côté festif de la Gay Pride - chars, musique assourdissante, déguisements et travestissements - qui, paraît-il, donnerait une mauvaise image de la communauté LGBT. Au passage, c'est très de notre époque, cette préoccupation de l'image que l'on va donner de soi ou de son groupe. Dans les années 1980, on critiquait les mêmes aspects de la Gay Pride parce qu'ils mettaient en avant le secteur commercial du monde gay (bars, boîtes, saunas) aux dépens des associations, groupes militants, etc.
Ces polémiques et récriminations m'ont toujours paru vaines : à chacun sa manière de défiler, et personne n'oblige les participants à se vêtir d'une manière plutôt que d'une autre. De toute façon, quelle que soit la façon dont les gays s'habillent, les homophobes resteront homophobes puisque leur attitude n'a rien de rationnel. Les "raisons" qu'ils donnent à leur haine viennent la justifier a posteriori (selon le principe bien connu que "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage") et tous les gages de respectabilité qu'on pourra leur donner ne changeront rien à leur point de vue. Ce qu'ils voudraient, c'est que les homosexuels n'existent pas ou fassent semblant de ne pas exister. En d'autres termes, que la réalité ne soit pas telle qu'elle est mais telle qu'ils aimeraient qu'elle soit, ce qui m'a toujours paru relever de l'aliénation mentale. Pourquoi s'embêter pour ces gens-là ?
Pour moi, la Gay Pride, c'est le moment de l'année où les LGBT disent simplement qu'ils sont là et qu'ils existent. Chacun le fait comme il a envie de le faire, en robe rose à paillettes et perruque blonde, en blouson de cuir noir (pas le truc le plus facile à porter aujourd'hui, au soleil), en jean et tee shirt… L'important, ce n'est pas la manière de défiler, c'est d'accomplir l'acte même de défiler.

vendredi 31 mai 2013

Coïncidences

Il arrive qu'un livre ou un auteur surgisse dans votre conscience à quelques jours d'intervalles via des sources très éloignées. On ne peut alors que s'émerveiller de la coïncidence. À plus forte raison quand cela arrive deux fois la même semaine.

Jeudi avant-dernier, j'avais assisté à un débat sur les relations entre Pop Art et BD où l'on avait pas mal discuté de la notion d'appropriation. Cette semaine, j'ai lu le petit essai en forme de collage de David Shields How Literature Saved My Life et il y parle beaucoup d'appropriation, en particulier dans le domaine littéraire.

Dans la foulée, j'ai dévoré le volume de mémoires de Diana Athill Stet - An Editor's Life. Ancienne directrice littéraire aux éditions André Deutsch, l'auteure y raconte dans une première partie sa carrière (fort intéressant témoignage sur le monde de l'édition britannique d'après-guerre) et, dans une seconde partie, parle de ses relations amicales ou non avec un certain nombre d'auteurs qu'elle a publiés. Le premier cité est un auteur canadien, Mordecai Richler, dont je n'avais jamais entendu parler. Et voilà qu'aujourd'hui, dans le Guardian, il est question de la ressortie d'un film oublié, The Apprenticeship of Duddy Kravitz, au Festival de Cannes. Ce long métrage de 1974 avait été le premier à mettre en vedette Richard Dreyfuss et il s'agit de l'adaptation d'un roman. Devinez de qui est ce roman ? De Mordecai Richler.

mardi 28 mai 2013

Alexandrie, Alexandra

Hier vaste ciel bleu parcouru de nuages blancs poussés par un vent frais. Aujourd'hui, pluie et ciel plombé de vastes nuages gris. Les noms savants des nuages (nimbus, cumulus, stratus…) ne me disent rien. Ils ne font pas surgir dans mon esprit la forme qui leur est associée et je regrette cette ignorance.

Hier, promenade jusqu'à l'Alexandra Palace, immense bâtiment posé au sommet d'une colline depuis laquelle on voit Londres s'étendre. Ce n'est pas la même sensation qu'à Montmartre, où l'on contemple Paris d'en haut d'un point situé dans la ville. Alexandra Palace se trouve à côté de Muswell Hill, au nord de Londres. On est nettement plus loin de ce centre que l'on aperçoit, au loin.

samedi 25 mai 2013

Bonjour, notre petite table


Comme je l'ai écrit hier, mes séjours à Londres ne sont pas synonymes de farniente. J'emporte donc avec moi mon ordinateur. Mais je ne peux pas prendre aussi la table de camping que j'utilise, à Paris, comme "bureau". Pourquoi une table de camping ? Parce qu'elle est légèrement plus basse qu'une table normale, ce que je trouve moins fatigant pour mon dos et mes épaules. Mais à Londres, il fallait faire avec ces tables "normales". Jusqu'à avant-hier. Car je viens de faire l'acquisition d'une petite table pliante dont l'utilité pratique officielle est de servir à poser dessus un poste de télévision. Étant donné que l'ordinateur remplace pour beaucoup la télévision, je n'ai pas trop détourné cette table de sa fonction d'origine. Enfin, je crois.

Je viens de finir la lecture du roman de Peter Ackroyd Hawksmoor. J'en avais lu beaucoup de bien et j'ai enfin pu juger sur pièces. Ce récit parallèle de la construction d'églises à Londres au début du 18e siècle et d'une série de meurtres liés à ces mêmes églises à l'époque contemporaine ne manque pas d'intérêt. On pourra penser qu'Ackroyd en fait des tonnes, surtout au niveau de l'écriture, que l'on peut trouver un peu trop maligne (rédaction des parties se passant au 18e siècle à la manière de l'écriture de cette époque, phrases liant la fin d'un chapitre au début du chapitre suivant, séquence dialoguée comme un texte théâtral juste après que des personnages soient allés au spectacle…) Or, paradoxe, cette écriture parfois lourdingue est  mise au service d'un récit qui, au bout du compte, suggère plus qu'il n'explique. Je ne suis toujours pas convaincu qu'Ackroyd soit un bon écrivain - son essai Albion m'avait quelque peu agacé par ce que j'avais perçu comme un manque de rigueur intellectuelle - mais je suis prêt à lui laisser le bénéfice du doute. 

vendredi 24 mai 2013

Retour à Londres

À Londres depuis mardi, pour trois semaines. Quand j'annonce que je pars, tout le monde me souhaite de bonnes vacances, mais lorsque je prends l'Eurostar, c'est toujours avec du boulot dans ma valise. Cette fois-ci : des traductions pour le prochain Mickey Parade Géant, pour le prochain tome de la Dynastie Donald Duck (le douzième, déjà), le cinquième tome de La Grande Guerre de Charlie et l'histoire de la BD suédoise. Ce dernier, j'en traduis des petits bouts entre deux bouclages.
Cela ne veut pas dire que je ne sorte pas. Mercredi, je suis allé à Muswell Hill acheter pour Ben Bring Up the Bodies, le dernier Hilary Mantel qui vient de sortir en poche. Il avait adoré Wolf Hall, volume précédent de ce qui promet d'être une trilogie, si j'ai bien compris, dont l'action se passe à l'époque d'Henri VIII. Je suis passé par Cherry Tree Wood et un petit segment du Capital Ring, cette promenade découverte grâce au blog d'André-François Ruaud.
Hier, petite visite en centre ville où j'ai retrouvé mon ami Paul Gravett, qui participait à un débat à la librairie Orbital Comics sur le thème de l'appropriation des images, thème lié à l'exposition consacrée à Roy Lichtenstein qui a lieu en ce moment à la Tate Modern (encore pour quelques jours) et à l'exposition Image Duplicator où des auteurs de BD travaillaient à partir des images ayant servi de source aux tableaux de Lichtenstein. Malheureusement, le débat ne décolla pas vraiment, certains participants se contentant de ressasser les habituelles antiennes en matière de pop art. Replacer les tableaux de Lichtenstein dans le contexte de l'époque, je veux bien, mais il me semble que cinquante ans après, c'est un point de départ à une discussion sur les relations entre la BD et l'art contemporain, pas une sorte d'argument massue destiné à clore tout débat.

mercredi 1 mai 2013

Il arrive que Donald ne casse pas trois pattes à un canard (mais il arrive aussi que si)


Quand on traduit, et donc que l'on lit, beaucoup de BD Disney, comme c'est mon cas, on est bien forcé de constater que tout n'est pas du même niveau. Des milliers, des dizaines de milliers de BD ont été produites depuis les années 1930 avec Mickey, Donald, Picsou et les autres, mais tout n'est pas mémorable, loin de là. Il faut bien remplir les pages de tous ces hebdomadaires, mensuels et trimestriels. Alors, dans l'exercice de mon métier, je me retrouve parfois - heureusement, pas souvent - à traduire des BD d'une bêtise absolue, d'une invraisemblance totale, des bandes aux scénarios tellement mauvais qu'elles n'auraient même pas fait rire Charlie Schlingo au quatre-vint-quatorzième degré. 
Il n'y a pas longtemps, j'ai traduit une histoire qui semblait avoir été écrite par un gamin de six ans où Donald, rendu amnésique par un coup sur la tête, se prenait pour un marin et s'embarquait sur un bateau dont l'équipage le prenait pour un vieux loup de mer. Tous les personnages censés être des adultes se comportaient comme des enfants crédules et naïfs. Il suffisait à Donald de dénoncer ses neveux, partis à sa poursuite, comme de dangereux pirates, pour que tout le monde le croie sur parole. 
En ce moment, je suis sur une histoire où Picsou se retrouve en prison parce que les Rapetou ont cambriolé une banque en s'aidant de Donald déguisé en Picsou (et convaincu par eux qu'il tournait un film). Ce genre de scénario donne un sens nouveau à l'expression "tiré par les cheveux". 
Et en même temps, la revue qui publie ces niaiseries a également au sommaire de très bonnes bandes, comme Doubleduck (Donald agent secret), une série d'épisodes scandinaves où les Castors Juniors voyagent dans le temps (dessinés par le très bon Alrid Midthun) et une version de Dracula avec Mickey, Minnie et compagnie dans les rôles principaux.
Et pour dire que je ne tombe pas que sur des navets : il me reste à traduire une histoire courte où Donald reçoit une carte de crédit et se met à dépenser sans compter, juste avant que Picsou ne ferme l'usine de margarine où il travaille pour faire produire moins cher à l'étranger. Le dessin est de Vicar, dessinateur argentin récemment décédé, qui était alors au summum de la loufoquerie graphique, et le scénario d'un certain Gaute Moe, auteur de BD norvégien qui, d'après l'encyclopédie INDUCKS, travaillerait à temps partiel comme conducteur de tram. À paraître dans quelques mois dans Super Picsou Géant n°177 et chaudement recommandé.

samedi 27 avril 2013

Fin de partie

Maintenant que la loi sur le mariage pour tous est passée, je pousse un soupir de soulagement. Je dois dire qu'il m'a été très pénible de devoir subir pendant plusieurs mois les soi-disant arguments des anti, qui s'apparentaient plus à des bouffées délirantes qu'à une argumentation raisonnée. 
"On sape les bases de la société et des institutions !" Ce ne sont pas les institutions qui fondent la société mais la société qui se donne les institutions dont elle a besoin. Ou alors, il aurait fallu garder les mêmes institutions depuis que la France existe. Qui vote pour rétablir le servage ? Doit-on revenir à une royauté de droit divin ? Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Revenons aux institutions des Gaulois et rétablissons les sacrifices humains. 
"L'adoption par les homosexuels, c'est la porte ouverte au trafic d'êtres humains !" Si des gens sont prêts à faire l'amalgame entre l'adoption et le trafic d'être humains, je ne comprends pas pourquoi ils se limitent à l'adoption par les seuls homosexuels. Ah, mais j'oubliais : les opposants au mariage pour tous ne sont pas homophobes. Ils doivent donc avoir une bonne raison pour dire ce qu'ils disent. Après sept mois de "débat", j'attends encore de l'entendre, cette bonne raison. 
"Un enfant a besoin d'un papa et d'une maman." Il me semble surtout qu'un enfant a besoin de parents. Des parents qui vont l'élever, l'aimer, l'aider à grandir et devenir adulte. Mes parents à moi étaient un homme et une femme. Je ne l'ai pas choisi. Personne ne m'a demandé mon avis ni fait remplir un quelconque questionnaire avant ma naissance pour me demander mes préférences en matière de parentèle, de nationalité ou de couleur de peau (pas plus que d'orientation sexuelle, d'ailleurs). 
Alors bon, il paraît que la société va s'effondrer, nouvelle que j'accueille avec un certain scepticisme. Je sais, j'ai l'air de faire mon esprit fort à peu de frais. Mais je demande à voir, quoi…

jeudi 4 avril 2013

En Avril, ne te découvre pas d'un fil



Voilà ce que je vois de ma fenêtre aujourd'hui. Il a recommencé à neiger. Même les pigeons sont dégoûtés.

Sinon, puisqu'il paraît que l'on me lit (salut Big Ben !) voici un petit extrait récent de mon carnet.






mardi 2 avril 2013

Début mai, fin mars



Il y a deux ans, au mois de mai, Ben et moi étions allés nous promener à Hampstead Heath. J'avais pris la première photo depuis le balcon du belvédère qui prolonge la pergola, dans la partie ouest de cet immense espace vert londonien. Je suis retourné hier au même endroit. C'est fou ce qu'un printemps peut faire la différence. Ici, on l'attend encore, le printemps, même si les jonquilles commencent à éclore.

samedi 30 mars 2013

Saturday

Aujourd'hui, je n'ai pas fait grand chose : un peu de traduction, un peu de lecture, des courses, regardé la télé (un documentaire sur Bach sur BBC2)… C'est comme si je me reposais avant la fatigue du changement d'heure, demain, qui va me ramener à l'heure française une semaine après notre départ de Paris. Et au retour, il faudra encore avancer d'une heure, soit trois changements en deux semaines. 

Je ne m'attarde pas sur le côté ironique d'un passage à l'heure d'été alors que l'hiver n'est pas fini.

jeudi 28 mars 2013

Des super-héros partout !

Petit séjour à Londres sans raison précise autre qu'une visite de Ben chez son médecin. J'en ai évidemment profité pour aller acheter des comics, chose que je n'ai plus trop l'énergie de faire à Paris où la seule librairie d'import correcte, Arkham, se trouve dans un quartier pas vraiment facile d'accès. Et puis, je dois l'avouer, acheter des comic books (essentiellement mainstream) à Paris, ce n'est plus vraiment ça, si tant est que ça l'ait jamais été. 
Par contre, en Angleterre, l'activité conserve un certain charme, probablement dû autant à la nostalgie qu'à la qualité des comics contemporains. Et même plus, finalement. Parce que le gros problème, aujourd'hui, pour l'amateur qui, comme moi, ne suit la production que de loin en loin, consiste à s'y retrouver dans la surabondance de la dite production. Hier, je suis allé au Book Exchange de Notting Hill et à la librairie Orbital, près de la station de métro Leicester Square. Dans le second, je me suis mis à jour de parutions récentes et dans les deux, j'ai acheté de l'occasion. 
Le neuf ne pose pas de gros problèmes : je dois presque me forcer, à l'heure actuelle, pour suivre une série. En ce moment, cela se résume à Dial H et Earth 2, deux titres DC que je suis par affection pour le concept de base et curiosité de voir ce qu'en font respectivement les scénaristes China Mieville et James Robinson, et FF, sorte de spin-off de Fantastic Four dessiné par Mike Allred (ce qui ne gâte rien) et mettant en scène au moins deux personnages pour lesquels j'ai de l'affection, Medusa et, surtout, Ant-Man (je crois que finalement, when all is said and done, mon super-héros préféré, c'est l'Homme-Fourmi - dire qu'il m'a fallu tout ce temps pour m'en rendre compte). À quoi je vais devoir ajouter X-Treme X-Men, énième déclinaison des X-Men autour d'un groupe qui va de monde parallèle en monde parallèle et compte parmi ses membres Dazzler (personnage souvent sous-exploité, à mon goût) et le couple formé par James Howlett, le Wolverine d'une autre Terre, avec le Hercules de son monde.
Le vrai dilemme se pose pour l'occasion. Les deux dernières décennies ont vu une telle pléthore de parutions que le choix s'avère difficile. Dans les années 1970, durant ma folle adolescence, la production de comic books était nettement moins importante en nombre de titres publiés et les titres lisibles étaient essentiellement le fait de Marvel et DC (les autres compagnies de type Archie, Charlton, Harvey et autres Whitman ne présentaient qu'un intérêt très limité et étaient de toute façon très difficiles à dénicher en Europe). Et encore les deux éditeurs ne publiaient-ils pas tant de titres que ça. Pour ne prendre que l'exemple des groupes de super-héros (sous-ensemble pour lequel j'avoue un fort faible), lorsque j'ai commencé à acheter des comic books en version originale, en 1972, Marvel n'en publiait que trois - The Avengers, The Defenders et The Fantastic Four - et DC deux - Justice League of America et Superboy and the Legion of Super Heroes. Dans le courant de la décennie, sont venus s'y ajouter chez Marvel Uncanny X-Men et des titres moins durables comme The Invaders (41 numéros), The Champions (17 numéros) et les Guardians of the Galaxy dans Marvel Presents (moins de dix numéros, et chez DC des relances de Teen Titans, Metal Men et New Gods ainsi que des titres originaux comme Freedom Fighters et Secret Society of Super Villains (rien ne dépassant les quinze numéros). Même dans les années 1980, il était encore possible de suivre, par exemple, tous les titres X-Men et dérivés, puisque, outre X-Men, ne paraissaient que New Mutants et X-Factor (plus le titre solo de Wolverine).
Mais aujourd'hui… Eh bien, aujourd'hui, quand on s'aventure dans les bacs de comics d'occasion, on est noyé sous les titres. Rien qu'en X-Men et Avengers, chaque franchise a connu ou connaît encore une demi-douzaine de déclinaisons, sans compter les séries limitées et autres crossovers. Car évidemment, la production surabondante des années 1990 et 2000 s'accumule dans ces bacs d'ancien où une Catwoman ne retrouverait pas ses petits. Lorsque je me suis aperçu que j'étais un peu perdu au milieu de tout ça, j'ai mis cette impression sur le compte de ma perte d'intérêt pour le mainstream. À présent, je me rends compte que n'importe quel lecteur doit avoir du mal à faire un choix, même dans la production courante. Quand DC lance 52 titres mensuels, qui peut espérer suivre, à moins de disposer de ressources financières conséquentes ?

mardi 12 mars 2013

Gay Manga, le retour

J'avais parlé ici il y a quelques mois de l'article que j'étais en train d'écrire sur le bara pour la revue Manga 10 000 Images. Je m'y plaignais du peu d'informations disponibles sur le sujet. Et voilà qu'apparaît récemment un blog sur le dit sujet : Gay Manga. Essentiellement composé d'illustrations, avec parfois de courts textes très informatifs, c'est un bon endroit sur le ouèbe où se renseigner sur le sujet. Bien sûr, Gengoroh Tagame y est à l'honneur !

samedi 16 février 2013

Pierre GHEERAERT (1930-2013)


Il y a deux semaines, samedi 2 février, Pierre est mort.

Pierre était l'homme avec qui je partageais ma vie depuis 1985.

Il est mort, comme on dit "des suites d'une longue maladie". C'est un cliché, mais un cliché basé sur la réalité. Pierre souffrait de la maladie d'Alzheimer. Concrètement, cela veut dire que depuis l'époque où le diagnostic avait été posé, en 1998, il avait par étapes perdu toutes ses facultés : il avait arrêté de conduire sa voiture, de sortir tout seul, puis il avait cessé de parler, puis il avait eu du mal à se tenir debout, puis à marcher… La photo ci-dessous date de juillet 2005. C'était il y a seulement sept ans et demi, et pourtant cela semble tellement loin. Le Pierre qui a expiré il y a deux semaines passait son temps entre un lit médicalisé et un fauteuil confort. On le faisait passer de l'un à l'autre à l'aide d'un lève-personnes. Il ne pouvait plus absorber que des aliments semi-liquides (crèmes, purées…). On ne savait pas très bien s'il avait conscience de son état, s'il savait encore qui il était, où il se trouvait.

Jeudi 7 février, Pierre a été incinéré. C'était mon anniversaire, et celui de Fred, le troisième des cinq enfants que Pierre avait eu avec Hélène, son ex-épouse. J'avais toujours trouvé amusante cette coïncidence : Fred et moi avons exactement un an de différence, au jour près. Nous nous sommes dits que tant qu'à ce que notre anniversaire soit gâché, autant qu'il le soit dans les grandes largeurs.

Lors de la cérémonie, j'ai lu le texte suivant :

Pierre a vécu plus de 82 ans. C’est long, 82 ans. On a le temps de vivre plusieurs vies. Quand j’ai connu Pierre, il avait 54 ans. Des vies, il en avait déjà vécu plusieurs. Il avait été un enfant, puis un adolescent, un étudiant, un séminariste, un militaire pendant la Guerre d’Algérie. Et puis il avait été un homme marié, père de cinq enfants qui étaient, à ce moment, déjà des adultes. Et après que nous avons commencé à vivre ensemble, Pierre a continué à vivre des vies différentes : il était retraité, mais un retraité très actif, avec des activités de visiteur de prison. Il était grand-père, ce qui ne lui déplaisait pas, je crois, car il adorait ses petits-enfants. Et il était mon compagnon.

Samedi 2 février 2013, ces multiples vies se sont achevées.

Pierre m’écrivait le 10 avril 1986 :
Je n’ai pas peur de la mort car pour moi, ce n’est qu’un changement de mode de vie et de communication.

Je suppose qu’il a donc déjà commencé encore une autre vie, une autre existence, je ne sais pas très bien où. Mais je sais qu’ici, sur Terre, il vit toujours dans le souvenir de ceux et celles qui l’ont connu et aimé.

Tous ceux qui sont présents ici aujourd’hui gardent le souvenir d’un Pierre différent. Pour l’une il a été le mari, pour les autres le père ou le grand-père, pour d’autres l’ami. Pour moi, Pierre a été l’homme avec qui j’ai vécu plus de vingt-sept ans. Un homme avec ses qualités et ses défauts, mais quand on aime quelqu’un, on le prend avec ses qualités et ses défauts, et lui, il m’avait pris avec mes qualités et mes défauts.

Alors en ce jour où nous allons nous quitter, je dois dire ceci : je ne suis pas sûr, personnellement, qu’il y ait un au-delà, mais je sais que je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui sans Pierre. Donc, oui, quelque part, il vit encore en moi.