jeudi 27 mars 2014

Troubles dans le Genre

L'actuelle campagne d'intoxication des esprits visant à faire passer toute tentative de lutte contre le sexisme pour un vaste complot inspiré par une soi-disant Théorie du Genre a de sales relents nauséabonds. On pense, devant les efforts des "anti-genre" visant à décrédibiliser et à combattre une "théorie" qui n'existe que dans leur imagination détraquée, aux Protocoles des Sages de Sion et à tous les antisémites qui ont vu dans ce document inventé de toutes pièces la preuve irréfutable de toutes leurs propres craintes, haines et préjugés. Toute cette agitation n'a évidemment pas grand chose à voir avec la réalité des études de genre et les travaux d'un Michel Foucault ou d'une Judith Butler, pour ne citer que les plus connus. Mais certains ont vaguement cru comprendre que ces fumeux intellectuels remettaient en cause l'ordre "naturel" des choses de Papa fume sa pipe et Maman fait la cuisine.
Pourtant, l'ordre "naturel", au fil des siècles, on a vu qu'il n'était pas si naturel que certains l'affirmaient. La hiérarchie noblesse, clergé, tiers-état qui fondait la société d'Ancien Régime, n'existe plus. Les femmes ont le droit de vote et le monde ne s'est pas effondré. Alors, est-ce que la Nature ne serait plus ce qu'elle était ? Ou bien plus simplement, est que l'on n'invoque pas la Nature un peu à tort et à travers, quand ça nous arrange ? 
Par exemple, est-il "naturel" de porter des vêtements ? Je ne connais pas beaucoup de bêtes qui aillent en jean et tee-shirt, a fortiori en costume-cravate, éventuellement quelques toutous qui portent des petits manteaux, mais ce ne sont pas eux qui les ont tricotés. Alors pourquoi tout ce tintouin fait par un certain Jean-François C. de Meaux à propos d'un livre pour enfants (Tous à poil !) où tout le monde retire ses vêtements ? Est-ce que ce n'est pas plus naturel ? Apparemment, selon lui, mettre les gens tout nus, ça ferait désordre. Un désordre naturel ?

dimanche 16 mars 2014

Catastrophe ? Quelle Catastrophe ?

Je relisais l'article d'Harry Morgan sur "Les Penguin Books et la Catastrophe des années 1970". Est-ce parce que je suis dans une ambiance britannico-librophile, étant actuellement, et encore pour quelques jours, à Londres, où je ne manque pas de fourrer mon nez dans toutes les librairies et bouquineries que je rencontre ? Je dois dire que je ne suis pas du tout d'accord avec les appréciations esthétiques contenues dans cet article.
Non, les années 1970 ne m'apparaissent pas une "Catastrophe" (avec une majuscule pour en souligner la gravité) et je ne suis pas convaincu par les arguments d'Harry. Il me semble que le design des Penguin Books a toujours mis l'esthétique au service du marketing (ce qui n'a rien, a priori, de condamnable) puisqu'il s'agissait de rendre un livre le plus attractif possible à un public de masse, et ce pour le prix le plus bas possible. Certes, on peut trouver très jolie la sobriété du design hérité des années 1930, mais n'oublions pas qu'elle était en partie dictée par le coût de l'impression : deux couleurs, cela coûte moins cher à imprimer que quatre. À partir des années 1960, il aurait été impensable de proposer au grand public des livres de poches sans couvertures en quadrichromie alors qu'on en trouvait partout ailleurs : au cinéma, sur les  magazines et, bien sûr, sur les livres de poche des éditeurs concurrents. Puisque les principes organisateurs des couvertures (les trois bandes, en particulier) sont un héritage direct de la période de la bichromie, quelle raison aurait-on eu de les conserver une fois la quadrichromie entrée dans les mœurs ?
Comme les couvertures des romans d'Evelyn Waugh édités dans les années 1970 sont donnés comme "bonne illustration de la Catastrophe", j'ai eu la curiosité de mettre côte à côte différentes couvertures de Brideshead Revisited du même Evelyn Waugh. Je ne suis pas certain de l'ordre chronologique des deux dernières. 


La première version est la "classique" mise en avant comme exemple de design sobre et élégant. Mais  je remarque que c'est un design basé sur le principe élitiste que la couverture n'a rien d'autre à apprendre à l'acheteur potentiel que le titre et le nom de l'auteur. 


Dès que l'on veut fournir des informations sur l'atmosphère du livre, son contenu, la teneur du récit, on est obligé d'avoir recours soit aux mots, soit à l'image. L'exemple ci-dessous a recours au mots et je ne trouve pas cela très heureux d'un point de vue esthétique. Cela fait "livre générique". Toutefois, il existe de nombreux exemples de Penguin Books de la même période utilisant une illustration en noir et blanc à l'emplacement central (1).



Cette illustration fonctionne bien, je trouve, parce que Quentin Blake, son auteur, est un illustrateur (qui a donc l'habitude de synthétiser en une image une portion plus ou moins importante de texte) et que la sobriété de son dessin se marie bien avec la sobriété du design. 


Ce qui est intéressant, c'est que la couverture des années 1970 choisit la même scène que celle illustrée par Blake : un pique-nique entre jeunes gens de la bonne société. S'agit-il vraiment de pasticher le style art déco, comme le suppose Harry Morgan, ou de le réinterpréter à la lumière du "psychédélisme" de la fin des années 1960 ? Je vois dans cette image, dans les typographies, le graphisme "ligne claire rencontre le dessin animé Yellow Submarine" des choix graphiques proches de ceux d'un Joost Swarte à la même époque. C'est sans aucun doute la plus "baroque" des six et la moins sobre. Et alors ? Préférer a priori le baroque au classique (ou vice versa) est une question de goût, rien de plus. Il y a du beau baroque et du moche baroque. Dans le genre, je trouve celui-ci plutôt joli.




Je ne sais pas laquelle des deux couvertures est la plus récente. Du point de vue des informations fournies, on reconnaît sur la seconde les universités anglaises du type Oxbridge. Bien sûr, la période n'est pas aussi bien indiquée que dans la première (encore que la photo de bal puisse dater des années 1920 ou 1930, ce qui n'est pas trop précis non plus). Finalement, la couverture des années 1970 était, mine de rien, beaucoup plus riche d'informations sur le contenu du livre. On en est revenu à une certaine sobriété, loin des "horreurs de la mode rétro" dénoncée par Harry Morgan, mais dans le cas des romans d'Evelyn Waugh, il ne s'agissait pas seulement de sacrifier à une mode mais aussi de signaler par différents éléments évoquant l'époque (la typographie, les cadres, la décoration) que l'on se situe dans les années 1920. L'image seule arrive à fournir une indication (le cadre de l'université ou la période) mais pas plus d'une indication à la fois. Cette couverture d'un recueil de nouvelles de Fitzgerald est un autre exemple de la typo et du design comme élément informatif :


Il se trouve que c'est la même édition Penguin que j'utilisais dans le cadre d'un cours de littérature américaine lors de mes études d'anglais à la fin des années 1970. On peut aimer ou pas (moi-même, j'ai tellement vu cette image que je ne la regarde plus - elle s'est naturalisée). En revanche, impossible de nier que la maquette donne une information (les récits se passent dans les années 1920) et que la photo en donne une autre (ça parle de gens riches). Il est évident qu'appliquer une telle maquette de couverture à un auteur contemporain n'aurait pas de sens. Et on ne le faisait d'ailleurs pas à l'époque.

Finalement, ce que révèle ce rapide survol des couvertures Penguin, c'est qu'à toutes les époques, les graphistes réalisant les maquettes de couvertures de livres ont eu à choisir entre deux options : avoir une ligne graphique unifiée appliquée à tous les livres de tous les auteurs de toutes les époques ou bien donner aux livres d'un auteur ou d'une période une identité graphique propre. En bande dessinée, la première option serait celle de l'Association chez qui chaque collection a son format et son identité graphique (lesquels déclinent une identité graphique globale de la maison d'édition) tandis que la seconde serait celle d'éditeurs nord-américains comme Fantagraphics ou Drawn and Quarterly pour qui chaque livre ou série de livres possède identité et format propres. Alors certes, les choix sont fonction de modes et d'impératifs techniques. Notre époque postmoderne ne semble pas vraiment faire de choix, capable d'apprécier des designs très sobres comme les excès baroques des couvertures de pulps (en magazine ou en livre de poche). Et si la "Catastrophe", c'était tout simplement le fait que l'on accepte aujourd'hui que les choses puissent être belles avec des parti pris esthétiques différents, sans que les unes soient "plus" belles et les autres "moins" ? Pas si catastrophique que ça, je trouve.


1. Trois exemples de couvertures de cette période avec l'illustration au centre. Le premier est à la fois joli, ingénieux et intriguant : on a envie de savoir qui est cet "homme qui n'avait jamais existé". Le deuxième présente un dessin très sympa avec une utilisation intéressante de la bichromie noir/rouge, mais je trouve que les bandes oranges ne sont pas dans ce cas du meilleur effet. À tout prendre, un donc complètement blanc mettrait mieux le dessin en valeur, il me semble. Le troisième exemple n'est ni particulièrement joli ni particulièrement informatif. Je n'ai aucune idée de quoi parle The Disenchanted (de cinéma ?) dont le titre est déjà ambigu en anglais (s'agit-il du désenchanté ou des désenchantés ?) et cette image ne m'aide absolument pas.





dimanche 9 mars 2014

mercredi 5 mars 2014

Le Traducteur invisible

Petit énervement du matin. Je feuillette le nouveau numéro de Télérama qui vient d'arriver dans ma boîte aux lettres. À la rubrique livres, huit ouvrages sont chroniqués dont cinq par des auteurs étrangers : deux romans, un volume de "mémoires", un essai et une BD. Tous les traducteurs de ces ouvrages sont dûment cités, sauf un. Devinez lequel ?
Si vous avez répondu, "celui de la BD", vous avez gagné. Mais vous n'avez pas tant de mérite que ça, reconnaissez-le. Car il est bien connu que les essais et autres romans étrangers nécessitent des traducteurs pour devenir accessibles aux lecteurs français, tandis que les bandes dessinées, évidemment, arrivent déjà traduites sur le bureau de leur éditeur. Comment ça, ce n'est pas possible ? Alors comment expliquer l'absence de nom du traducteur seulement pour la BD ?
Peut-être que la rédaction de Télérama considère que le traducteur d'une BD ne mérite pas d'être mentionné. Une BD, c'est tellement facile à traduire, n'est-ce pas ? Tiens, pourtant, il s'agit d'un manga de Hitoshi Iwaaki. Tout de même, le japonais, c'est coton, comme langue, à apprendre. Au moins autant que l'allemand et l'anglais, langues d'où sont traduits les romans et l'essai. 
Il faut croire que le rédacteur de la chronique, Stéphane Jarno, a lu Eurêka ! (c'est le titre du manga) en version originale japonaise. Forcément. Sans ça, il aurait le minimum de reconnaissance dû à celui ou celle qui lui a permis d'écrire sa chronique (et de gagner le montant de la pige qui va avec l'écriture de cette chronique). Personne n'est aussi ingrat.